Métal et lumière
Il y a chez François Pascal quelque chose de paradoxal. Spécialiste du métal, matériau dur, brut, qu’il traite à la manière des ouvriers d’autrefois en le pliant, le soudant, le découpant dans des ateliers de lointaine banlieue, il produit des pièces qui devraient être des sculptures, qui en seraient s’il le voulait bien. Mais il préfère, pour des motifs qu’il explique rarement mais qui doivent être puissants, composer des meubles, des tables, des lits, des escaliers, des cloisons, des lampes, surtout. Autant d’objets usuels, quotidiens qui rapprochent le spectateur des pièces jusqu’à en faire des objets familiers qu’on ne verrait plus s’ils n’étaient justement aussi beau. C’est le sort de tous ces arts “mineurs” que de s’imposer sans le décorum des galeries et des musées. C’est aussi ce qui fait la force des artistes qui y consacrent leur talent.
D’autres que François Pascal ont tenté la même aventure et entrepris de réinventer les arts décoratifs, Dubreuil, Pucci di Rossi, En attendant les barbares… Mais alors que la plupart de ses collègues, éblouis par la liberté que leur donne l’oubli des règles du Bauhaus, finissent par se perdre dans le baroque, François Pascal reste au plus près des matériaux qu’il utilise : le métal, donc, mais aussi le cristal et, plus insolite, le bitume. On remarquera qu’il s’agit de matériaux qui entretiennent une relation presque amoureuse avec la lumière, qui la capturent et l’ensevelissent comme le bitume, l’enveloppent d’ombre comme le métal traité à l’étain, la réfléchissent, la décomposent et la colorent, comme le cristal.
Il travaille chacun avec une extrême minutie, en ouvrier amoureux de son art. Chaque pièce est usinée à la main, découpée, montée, frottée, lustrée avec un soin extrême, comme s’il s’agissait de faire rendre à la matière, noire quand elle n’est pas translucide, ce qui lui reste d’âme. C’est, d’ailleurs, chez les ouvriers, spécialistes des bains en étain, soudeurs… que François Pascal a appris son métier et trouvé ses premiers soutiens. C’est auprès d’eux qu’il a appris à manier des pièces lourdes, à les placer dans des espaces souvent étroits, appartements, maisons de ville ou de campagne, boutiques. D’autres ont besoin de grands espaces, de lignes de fuite, de fonds neutres pour mettre en valeur leur travail, François Pascal préfère les contraintes. Au point que l’on peut se demander si elles ne lui sont pas nécessaire, s’il n’en a pas besoin pour concevoir. Il y a des esprits qui se rêvent libres de toutes entraves, il est de ceux qui n’aiment rien tant que la liberté que l’on conquiert.
Son oeuvre est courte, mais toujours convaincante. Il y a chez la plupart des artistes, des oeuvres qui séduisent d’emblée et d’autres qui laissent froid. Rien de tel chez François Pascal. Il produit si peu que l’on peut se demander si cette qualité constante ne vient pas tout simplement de ce qu’il prend son temps. Il dessine beaucoup avant de se lancer. Il explore les formes, les couleurs (ou plutôt les nuances) et les sensations. Il n’est pas de ces créateur qui ont de la facilité. Bien au contraire, il est de ceux qui travaillent et remettent sans cesse leur oeuvre sur l’établi jusqu’à ce qu’elle ait atteint ce point de grâce où elle s’impose au regard, et ceci sans souci des modes ni des styles. Il est des artistes que l’on peut classer, cataloguer, inscrire dans une tradition. François Pascal est de ceux, post-modernes, qui ont formé leur regard au contact de mille expériences et qui lui font confiance sans souci des théories et des écoles.
L’opposition entre la forme et la matière n’existe pas pour lui : c’est la matière longuement travaillée, mêlée aux lumières, celles du jour, celle de l’électricité, qui fait les formes. L’artiste ne parait là que pour la guider, l’informer dans son expansion, lui donner du sens. C’est ce qui fait la force d’une oeuvre rare qu’il faut voir.
Bernard Girard